Martigues : il se bat pour revoir sa fille



Nami va bientôt souffler sa cinquième bougie, le 17 mai sur l'archipel du Japon. Insouciante, loin de savoir qu'elle est malgré elle la trame d'un mauvais film dramatique qui oscille entre bêtise humaine et droit d'un parent bafoué. Loin de son papa, Edward, qui n'a plus vu sa merveille depuis un an et demi. Une éternité.

Le ton est posé, même s'il ne peut masquer cette souffrance, au détour de cette remontée dans le temps et des mots qui sont comme des entailles sur la peau. La colère est enfouie au plus profond de lui. C'est un peu le SOS d'un père abandonné, seul contre un immense mur même si un collectif "Sauvons nos enfants-Japon", avec son membre-fondateur Paul-Georges Touja, s'est mis en marche pour tirer la sonnette d'alarme auprès des parlementaires, du consulat, de l'ambassade et dénoncer l'injustice pour de nombreux parents séparés de leurs enfants, privés à la fois de droit de visite et de garde au Japon. Pire, parfois "enlevés" ou "kidnappés". Officiellement, le ministère de la Justice dit avoir été saisi "de quatorze dossiers depuis l'entrée en vigueur de la convention de La Haye le 1er avril 2014". Mais de l'avis du collectif, il y en aurait "une bonne centaine" sur fond de droit de visite mis à mal.

La déchirure est terrible. La plaie reste ouverte pour Edward Shucksmith qui tente de se reconstruire à Martigues. Un retour à la case départ en fait pour ce désormais ex-ressortissant français au Japon, avec un nouveau projet professionnel en tête : un service de taxis dédié aux personnes à mobilité réduite.

Une seconde vie, après la première qui s'est écroulée comme un château de cartes. Tout commence par un coup de foudre à Aix, Edward rencontre Junko, une Japonaise qui va devenir sa femme. Un bébé est en route en 2012. Le couple décide de s'installer au Japon. "J'ai tout quitté, mon emploi, dans un magasin d'accastillage, ma famille... presque du jour au lendemain. On a réglé les détails administratifs en un mois." Avec les beaux-parents nippons, tout était organisé : un nouvel emploi, un pont d'or de promesses...
Culture, langue, loyer

La culture, la langue, le loyer - "1 500€ l'appart de 45m2" -, même pas peur.

Le 30 novembre 2012, c'est le grand saut dans l'archipel à Shinagawa, dans la partie sud de Tokyo. Le début d'un autre visage aussi. "Junko a été complètement différente une fois là-bas. Avec un trop grand train de vie. Je devais assumer. Ma famille m'aidait, je tapais dans mes réserves. J'ai monté une société d'import de matériel de sport avant d'être dans la sous-traitance pour l'organisation de spectacles. Ça commençait à prendre tournure. Et peu avant le 2e anniversaire de ma fille, j'ai vu des messages et des photos dénudées dans le téléphone de Junko. J'ai compris..."
Une dispute

Le début d'un vent mauvais, d'une dispute, de la police au domicile conjugal, à son nom, ce qui lui vaudra un bref sursis sur ce coup. "J'ai pu garder ma fille. Le matin, je l'ai emmenée à la crèche", raconte Edward qui ne pourra pas la récupérer quelques heures après... Envolée ! "Je ne l'ai plus revue pendant dix mois".

Plus de son, plus d'image. "Portes closes chez les beaux-parents, leur commerce tenu par les employés. Ni la police ni le consulat en recours, considérant une affaire privée. Je me suis retrouvé dans un vide de droits fondamentaux terrible", raconte-t-il. Une lente descente aux enfers malgré son avocat Me Suda. Des tentatives de conciliation vaines, un propriétaire qui donne 4 jours à Edward pour partir de son appart, des certificats médicaux douteux attestant de violences physiques. Une instrumentalisation classique aux fins d'emporter la conviction du tribunal des affaires familiales. Jusqu'au coup fatal, en première instance et en appel. "On m'autorise à voir ma fille deux heures par mois, dans un lieu public, accompagné de mon avocat". Deux toutes petites heures "pour maintenir son identité française" ; deux heures qui ont fini par ne plus être respectées !
600 € par mois de pension

Aujourd'hui, alors qu'une instruction de cassation est toujours en cours, Edward a dû se résigner à rentrer à Martigues condamné à une pension de 600 € par mois, sur un compte de consignation. "Rester au Japon, c'était mourir à petit feu. Il y a beaucoup de colère, de frustration, un tissu de discrimination, un jeu de pression sur les avocats. On est livré à nous-même. J'envoie des cadeaux à ma fille pour Noël et son anniversaire. Je n'ai même pas une photo..." Ni même l'assurance que les cadeaux arrivent dans les mains de Nami.

Edward ne désespère pas de "récupérer et revoir un jour sa fille" avec cette lancinante crainte qu'il faudra peut-être attendre la majorité de son enfant pour percer les mystères d'un papa écarté. "Si sa mère n'a pas tout massacré. J'espère que Nami voudra savoir..."

À moins qu'Edward et tous ces parents français en souffrance parviennent, enfin, à se faire entendre...

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